vendredi 28 décembre 2007

Mauves glycines


Par-dessus elle, je peux voir, pour peu que je me laisse tenter par la beauté odorante du bruissement des glycines mauves, une partie du jardin. Un mur en pierres sèches, qui menace de s’écrouler à chaque nouvel printemps arrosé, délimite notre sympathique propriété. Mon regard se laisse porter par mes pensées, errance bienvenue. J’accroche la balançoire, un léger vent printanier l’agite mollement. Les assises jaunes, en plastique, détonnent en ce lieu, à mille lieues, semble-t-il, de l’agitation urbaine et pourtant, la rumeur de la ville, si proche, me parvient. Le prunus en fleur épouse et ombrage le portique. Je les entends hurler de plaisir, jacasser, se chipoter pour qui monte le premier. Rire enfantin, musique véritablement singulière, universellement singulière. Un peu d’humidité roule sur ma joue, machinalement mes yeux se tournent vers le ciel. Le clocher élance sa flèche et laisse échapper, par inadvertance, comment peut-il en être autrement quand le temps est suspendu à jamais et pour toujours, quelques coups égarés. Je souris et maudis ces cloches inutiles qui ne transportent rien d’autre que du vent.
Mensonges.

Un téléphone hurle quelque part. Je sursaute puis je comprends que c’est celui de la boulangerie de l’autre côté du mur. Par la porte ouverte j’entends la jeune boulangère acquiescer et rire, un rire qui me porte sur les nerfs. Elle est mignonne, tout est bien chez elle. Une démarche à nulle autre pareille, un port de fesses à damner un chapelet de moines. Mais sa voix, putain sa voix, crispante à chier, dans l’aigu. Horrible. Comment une aussi belle fille a-t-elle pu développer cette voix de truie ?

Les glycines, par leur mouvement harmonieux d’une lenteur majestueuse, dispersent des couleurs chatoyantes. Je me laisse bercer, transporter, chargé d’une douce quiétude colorée. Qui d’autre que moi peut suspendre le temps ? Je hurle cette question quand passe dans un bruit de ferraille s’entrechoquant le tracteur bleu de la commune conduit par le Bob. C’est l’heure à n’en pas douter. Je l’évite et passe dans la salle à manger. Le buffet est toujours à sa place. Ça ne m’étonne pas, pour tout dire je m’en doutais. Je l’ouvre, prends la bouteille de whisky et je me sers un verre. Attention. Je sais qu’à partir de maintenant tout est possible. Le buffet en est la preuve, il ne devrait plus être là. Le reste des meubles non plus. Leur présence ne me perturbe pas, tout cela je l’avais prévu. Organisé. C’est moi qui mène la danse. Tournons maudits, ma botte brille, mes éperons virevoltent, scandent le mouvement, mon verre se brise à terre et la musique cesse. Les murs sont là, bien vivants cette fois. Ce qui me rassure c’est qu’ils n’oseront pas s’attaquer à moi. Il faut dire que je suis leur maître. Le sol est rouge par endroit, c’est étrange. Ces marques m’attirent malgré moi. Je ne veux plus les voir, je me bouche les oreilles pour vaincre le hurlement, j’ouvre la bouche et bois au goulot. L’alcool pénètre à l’intérieur, suit les vallons de ma langue, s’engouffre et disparaît au fond de ma gorge. Je le sens m’éveiller. Je suis transporté, attentif. Les murs s’apaisent enfin, la fenêtre revient et montre son tableau extérieur. Je regarde vers la droite en direction de la porte-fenêtre de la cuisine. Ils sont là, allongés à terre dans des postures stupides, anachroniques. C’est quoi ce rouge qui vient d’eux ?

" Tu sais, ça serait bien si tu allais tailler les glycines, tu vois pas qu’elles empiètent trop sur le jardin, elles tombent jusqu’à terre et c’est pas beau ! " Tailler les glycines, bien sûr, tailler les glycines. Le sécateur est à terre, il a glissé à terre mais je ne sais plus à quel moment. Il est sous la table de la cuisine, seul comme un âne, rouge soleil torride d’été. Je pense qu’il est un peu tard pour aller tailler les glycines maintenant. Demain, oui demain.